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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

Qui fut étonné ? — Ce n’est ni moi ni vous, car vous et moi nous étions préparés de longue main à cette visite ; ce fut d’Albert qui ne s’y attendait pas le moins du monde. — Il fit un petit cri de surprise tenant le milieu entre oh ! et ah ! Cependant j’ai les meilleures raisons de croire qu’il tenait plus de ah ! que de oh !

C’était bien Rosalinde, si belle et si radieuse qu’elle éclairait toute la chambre, — avec ses cordons de perles dans les cheveux, sa robe prismatique, ses grands sabots de dentelle, ses souliers à talons rouges, son bel éventail de plumes de paon, telle enfin qu’elle était le jour de la représentation. Seulement, différence importante et décisive, elle n’avait ni gorgerette, ni guimpe, ni fraise, ni quoi que ce soit qui dérobât aux yeux ces deux charmants frères ennemis, — qui, hélas ! ne tendent trop souvent qu’à se réconcilier.

Une gorge entièrement nue, blanche, transparente comme un marbre antique, de la coupe la plus pure et la plus exquise, saillait hardiment hors d’un corsage très-échancré, et semblait porter des défis aux baisers. — C’était une vue fort rassurante ; aussi d’Albert se rassura-t-il bien vite, et se laissa-t-il aller en toute confiance à ses émotions les plus échevelées.

— Eh bien ! Orlando, est-ce que vous ne reconnaissez pas votre Rosalinde ? dit la belle avec le plus charmant sourire ; ou bien avez-vous laissé votre amour accroché avec vos sonnets à quelques buissons de la forêt des Ardennes ? Seriez-vous réellement guéri du mal pour lequel vous me demandiez un remède avec tant d’instance ? J’en ai bien peur.

— Oh non ! Rosalinde, je suis plus malade que jamais. — J’agonise, je suis mort, ou peu s’en faut !

— Vous n’avez point trop mauvaise façon pour un mort, et beaucoup de vivants n’ont pas si bonne mine.