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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

la réalité de son rêve ; — merveilleuse découverte !

Il ne restait plus qu’à m’attendrir et à se faire octroyer le don d’amoureuse merci, — pour constater tout à fait mon sexe. — Une comédie que nous jouâmes et dans laquelle je parus en femme le décida complétement. Je lui fis quelques œillades équivoques, et je me servis de quelques passages de mon rôle, analogues à notre situation, pour l’enhardir et le pousser à se déclarer. — Car, si je ne l’aimais pas avec passion, il me plaisait assez pour ne point le laisser sécher d’amour sur pied ; et, comme depuis ma transformation il avait le premier soupçonné que j’étais femme, il était bien juste que je l’éclairasse sur ce point important, et j’étais résolue à ne pas lui laisser l’ombre du doute.

Il vint plusieurs fois dans ma chambre avec sa déclaration sur les lèvres, mais il n’osa pas la débiter ; — car, effectivement, il est difficile de parler d’amour à quelqu’un qui a les mêmes habits que vous et qui essaye des bottes à l’écuyère. Enfin, ne pouvant prendre cela sur lui, il m’écrivit une longue lettre, très-pindarique, où il m’expliquait fort au long ce que je savais mieux que lui.

Je ne sais trop ce que je dois faire. — Admettre sa requête ou la rejeter, — ce serait immodérément vertueux ; — d’ailleurs, il aurait un trop grand chagrin de se voir refuser : si nous rendons malheureux les gens qui nous aiment, que ferons-nous donc à ceux qui nous haïssent ? — Peut-être serait-il plus strictement convenable de faire la cruelle quelque temps et d’attendre au moins un mois avant de dégrafer la peau de tigresse pour se mettre humainement en chemise. — Mais, puisque je suis résolue à lui céder, autant vaut tout de suite que plus tard ; — je ne conçois pas trop ces belles résistances mathématiquement graduées qui abandonnent une