Page:Gautier - Mademoiselle de Maupin (Charpentier 1880).djvu/405

Cette page a été validée par deux contributeurs.
399
MADEMOISELLE DE MAUPIN.

personne ni homme ni femme ; quelque chose d’inassouvi gronde toujours en moi, et l’amant ou l’amie ne répond qu’à une seule face de mon caractère. Si j’avais un amant, ce qu’il y a de féminin en moi dominerait sans doute pour quelque temps ce qu’il y a de viril, mais cela durerait peu, et je sens que je ne serais contentée qu’à demi ; si j’ai une amie, l’idée de la volupté corporelle m’empêche de goûter entièrement la pure volupté de l’âme ; en sorte que je ne sais où m’arrêter, et que je flotte perpétuellement de l’un à l’autre.

Ma chimère serait d’avoir tour à tour les deux sexes pour satisfaire à cette double nature : — homme aujourd’hui, femme demain, je réserverais pour mes amants mes tendresses langoureuses, mes façons soumises et dévouées, mes plus molles caresses, mes petits soupirs mélancoliquement filés, tout ce qui tient dans mon caractère du chat et de la femme ; puis, avec mes maîtresses, je serais entreprenant, hardi, passionné, avec les manières triomphantes, le chapeau sur l’oreille, une tournure de capitan et d’aventurier. Ma nature se produirait ainsi tout entière au jour, et je serais parfaitement heureuse, car le vrai bonheur est de se pouvoir développer librement en tous sens et d’être tout ce qu’on peut être.

Mais ce sont là des choses impossibles, et il n’y faut pas songer.

J’avais enlevé la petite dans l’idée de donner le change à mes penchants et de détourner sur quelqu’un toute cette vague tendresse qui flotte dans mon âme et l’inonde ; je l’avais prise comme une espèce d’échappement à mes facultés aimantes ; mais je reconnus bientôt, malgré toute l’affection que je lui portais, quel vide immense, quel abîme sans fond elle laissait dans mon cœur, combien ses plus tendres caresses me satisfai-