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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

vint se pencher au dos du mien, et me souffla très-bas à l’oreille le nom du prince chéri.

Je restai confondue : c’était le chevalier de G***, — un animal fangeux et indécrottable, avec un moral de maître d’école et un physique de tambour-major, l’homme le plus crapuleusement débauché qu’il fût possible de voir, — un vrai satyre, moins les pieds de bouc et les oreilles pointues. Cela m’inspira des craintes sérieuses pour la chère Ninon, et je me promis d’y mettre bon ordre.

Des personnes entrèrent, et la conversation en resta là.

— Je me retirai dans un coin, et je cherchai dans ma tête les moyens d’empêcher que les choses n’allassent plus loin, car c’eût été un véritable meurtre qu’une aussi délicieuse créature échût à un drôle aussi fieffé.

La mère de la petite était une espèce de femme galante qui donnait à jouer et tenait un bureau d’esprit. On lisait chez elle de mauvais vers et l’on y perdait de bons écus ; ce qui était une compensation. — Elle aimait peu sa fille, qui était pour elle une manière d’extrait de baptême vivant qui la gênait dans la falsification de sa chronologie. — D’ailleurs, elle se faisait grandelette, et ses charmes naissants donnaient lieu à des comparaisons qui n’étaient pas à l’avantage du prototype déjà rendu un peu fruste par le frottement des années et des hommes. L’enfant était donc assez négligée et laissée sans défense aux entreprises des gredins familiers de la maison. — Si sa mère se fût occupée d’elle, ce n’eût été probablement que pour tirer bon parti de sa jeunesse et se faire une ferme de sa beauté et de son innocence. — D’une façon ou de l’autre, le sort qui l’attendait n’était pas douteux. — Cela me faisait de la peine, car c’était une charmante petite créature qui méritait assurément mieux, une perle de la plus belle eau perdue dans ce bourbier infect ; cette idée me toucha