Page:Gautier - Mademoiselle de Maupin (Charpentier 1880).djvu/397

Cette page a été validée par deux contributeurs.
391
MADEMOISELLE DE MAUPIN.

croquiez les pralines sans vous soucier autrement de compromettre votre dignité.

La petite personne me regarda avec un air singulier, promena ses yeux autour d’elle, et, quand elle se fut bien assurée que l’on ne pouvait nous entendre, se pencha vers moi d’une façon mystérieuse, et me dit :

— J’ai un amoureux.

— Diable ! je ne m’étonne plus si vous ne voulez plus de pastilles ; vous avez cependant eu tort de n’en pas prendre, vous auriez joué à la dînette avec lui, ou vous les auriez troquées contre un volant.

L’enfant fit un dédaigneux mouvement d’épaules et eut l’air de me prendre en parfaite pitié. — Comme elle gardait toujours son attitude de reine offensée, je continuai :

— Quel est le nom de ce glorieux personnage ? Arthur, je suppose, ou bien Henri. — C’étaient deux petits garçons avec lesquels elle avait l’habitude de jouer, et qu’elle appelait ses maris.

— Non, ni Arthur, ni Henri, dit-elle en fixant sur moi son œil clair et transparent, — un monsieur. — Elle leva sa main au-dessus de sa tête pour me donner une idée de hauteur.

— Aussi haut que cela ? Mais ceci devient grave. — Quel est donc cet amoureux si grand ?

— Monsieur Théodore, je veux bien vous le dire, mais il ne faudra en parler à personne, ni à maman, ni à Polly (sa gouvernante), ni à vos amis qui trouvent que je suis une enfant et qui se moqueraient de moi.

Je lui promis le plus inviolable secret, car j’étais fort curieuse de savoir quel était ce galant personnage, et la petite, voyant que je tournais la chose en plaisanterie, hésitait à me faire la confidence entière.

Rassurée par la parole d’honneur que je lui donnai de m’en taire soigneusement, elle quitta son fauteuil,