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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

même pas un portefaix. Ô malheureuse héroïne que je suis ! tourterelle dépariée et condamnée à pousser éternellement des roucoulements élégiaques !

Oh ! que de fois j’ai souhaité être véritablement un homme comme je le paraissais ! Que de femmes avec qui je me serais entendue, et dont le cœur aurait compris mon cœur ! — comme ces délicatesses d’amour, ces nobles élans de pure passion auxquels j’aurais pu répondre, m’eussent rendue parfaitement heureuse ! Quelle suavité, quelles délices ! comme toutes les sensitives de mon âme se seraient librement épanouies sans être obligées de se contracter et de se refermer à toute minute sous des attouchements grossiers ! Quelle charmante floraison d’invisibles fleurs qui ne s’ouvriront jamais, et dont le mystérieux parfum eût doucement embaumé l’âme fraternelle ! Il me semble que c’eût été une vie enchanteresse, une extase infinie aux ailes toujours ouvertes ; des promenades, les mains enlacées sans se quitter jamais, sous des allées de sable d’or, à travers des bosquets de roses éternellement souriantes, dans des parcs pleins de viviers où glissent des cygnes, avec des vases d’albâtre se détachant sur le feuillage.

Si j’avais été un jeune homme, comme j’eusse aimé Rosette ! quelle adoration c’eût été ! Nos âmes étaient vraiment faites l’une pour l’autre, deux perles destinées à se fondre ensemble et n’en plus faire qu’une seule ! Comme j’eusse parfaitement réalisé les idées qu’elle s’était faites de l’amour ! Son caractère me convenait on ne peut plus, et son genre de beauté me plaisait. Il est dommage que notre amour fût totalement condamné à un platonisme indispensable !

Il m’est arrivé dernièrement une aventure.

J’allais dans une maison où se trouvait une charmante petite fille de quinze ans tout au plus : je n’ai