Page:Gautier - Mademoiselle de Maupin (Charpentier 1880).djvu/392

Cette page a été validée par deux contributeurs.
386
MADEMOISELLE DE MAUPIN.

s’en est trouvé on ne peut mieux, et qui n’a dû qu’à cette touchante pâleur, si bien gagnée, de voir couronner sa flamme. — Je sais aussi comment les plus langoureux Céladons se consolent des rigueurs de leurs Astrées, et trouvent le moyen de patienter, en attendant l’heure du berger. — J’ai vu les souillons qui servaient de doublures aux pudibondes Arianes.

En vérité, après cela, l’homme ne me tente pas beaucoup ; car il n’a pas la beauté comme la femme, la beauté, ce vêtement splendide qui dissimule si bien les imperfections de l’âme, cette divine draperie jetée par Dieu sur la nudité du monde, et qui fait qu’on est en quelque sorte excusable d’aimer la plus vile courtisane du ruisseau, si elle possède ce don magnifique et royal.

À défaut des vertus de l’âme, je voudrais au moins la perfection exquise de la forme, le satiné des chairs, la rondeur des contours, la suavité de lignes, la finesse de peau, tout ce qui fait le charme des femmes. — Puisque je ne puis avoir l’amour, je voudrais la volupté, remplacer tant bien que mal le frère par la sœur. — Mais tous les hommes que j’ai vus me semblent affreusement laids. Mon cheval est cent fois plus beau, et j’aurais moins de répugnance à l’embrasser que certains merveilleux qui se croient fort charmants. — Certes, ce ne serait pas pour moi un brillant thème à broder des variations de plaisir, qu’un petit-maître comme j’en connais. — Un homme d’épée ne me conviendrait non plus guère ; les militaires ont quelque chose de mécanique dans la démarche et de bestial dans la face, qui fait que je les considère à peine comme des créatures humaines ; les hommes de robe ne me ravissent pas davantage, ils sont sales, huileux, hérissés, râpés, l’œil glauque et la bouche sans lèvres : ils sentent exorbitamment le rance et le moisi, et je n’aurais nullement envie de poser