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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

me résoudre à faire un pas au-devant ; j’attendais, patiemment perchée sur mon sommet.

Voici quel était mon plan : — sous mes habits virils j’aurais fait connaissance avec quelque jeune homme dont l’extérieur m’aurait plu ; j’aurais vécu familièrement avec lui ; par des questions adroites et de fausses confidences qui en auraient provoqué de vraies, je serais parvenue bientôt à une connaissance complète de ses sentiments et de ses pensées ; et, si je l’avais trouvé tel que je le souhaitais, j’aurais prétexté quelque voyage, je me serais tenue éloignée de lui trois ou quatre mois pour lui donner un peu le temps d’oublier mes traits ; puis je serais revenue avec mon costume de femme, j’aurais arrangé dans un faubourg retiré une voluptueuse petite maison, enfouie dans les arbres et les fleurs ; puis j’aurais disposé les choses de manière à ce qu’il me rencontrât et me fît la cour ; et, s’il avait montré un amour vrai et fidèle, je me serais donnée à lui sans restriction et sans précaution : — le titre de sa maîtresse m’eût paru honorable, et je ne lui en aurais pas demandé d’autre.

Mais assurément ce plan-là ne sera pas mis à exécution, car c’est le propre des plans que l’on a de n’être point exécutés, et c’est là que paraissent principalement la fragilité de la volonté et le pur néant de l’homme. Le proverbe, — ce que femme veut, Dieu le veut, — n’est pas plus vrai que tout autre proverbe, ce qui veut dire qu’il ne l’est guère.

Tant que je ne les avais vus que de loin et à travers mon désir, les hommes m’avaient paru beaux, et l’optique m’avait fait illusion. — Maintenant je les trouve du dernier effroyable, et je ne comprends pas comment une femme peut admettre cela dans son lit. Quant à moi, le cœur me lèverait, et je ne pourrais m’y résoudre.