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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

et auriez bon besoin de retourner aux écoles ! La pancarte dit : Demain. Je ne suis pas si niais et fantastique d’humeur que de raser gratis aujourd’hui ; mes confrères diraient que je perds le métier. — Revenez l’autre fois ou la semaine des trois jeudis, vous vous en trouverez on ne peut mieux. Que je devienne ladre vert ou mézeau, si je ne vous le fais gratis, foi d’honnête barbier.

Les auteurs qui lisent un article prospectif, où l’on daube un ouvrage actuel, se flattent toujours que le livre qu’ils font sera le livre de l’avenir. Ils tâchent de s’accommoder, autant que faire se peut, aux idées du critique, et se font sociaux, progressifs, moralisants, palingénésiques, mythiques, panthéistes, buchézistes, croyant par là échapper au formidable anathème ; mais il leur arrive ce qui arrivait aux pratiques du barbier : — aujourd’hui n’est pas la veille de demain. Le demain tant promis ne luira jamais sur le monde ; car cette formule est trop commode pour qu’on l’abandonne de sitôt. Tout en décriant ce livre dont on est jaloux, et qu’on voudrait anéantir, on se donne les gants de la plus généreuse impartialité. On a l’air de ne pas demander mieux que de trouver bien et à louer, et cependant on ne le fait jamais. Cette recette est bien supérieure à celle que l’on pouvait appeler rétrospective et qui consiste à ne vanter que des ouvrages anciens, qu’on ne lit plus et qui ne gênent personne, aux dépens des livres modernes, dont on s’occupe et qui blessent plus directement les amours-propres.

Nous avons dit, avant de commencer cette revue de messieurs les critiques, que la matière pourrait fournir quinze ou seize mille volumes in-folio, mais que nous nous contenterions de quelques lignes ; je commence à craindre que ces quelques lignes ne soient des lignes de deux ou trois mille toises de longueur chacune, et ne ressemblent à ces grosses brochures épaisses à ne les pouvoir trouer d’un coup de canon, et qui portent perfidement pour titre : Un mot sur la révolution, un mot sur ceci ou cela. L’histoire des faits et gestes, des amours multiples de la diva Madeleine de Maupin courrait grand risque d’être éconduite, et on concevra que ce n’est pas trop d’un volume tout entier pour chanter dignement les aventures de cette belle Bradamante. — C’est