Page:Gautier - Mademoiselle de Maupin (Charpentier 1880).djvu/375

Cette page a été validée par deux contributeurs.
369
MADEMOISELLE DE MAUPIN.

que tout ce que j’avais de raison s’en était allé. — Rosette me nouait de plus en plus avec ses bras et m’enveloppait de son corps ; — elle se penchait sur moi convulsivement et me pressait sur sa poitrine nue et haletante ; à chaque baiser, sa vie semblait accourir tout entière à la place touchée, et abandonner le reste de sa personne. — Des idées singulières me passaient par la tête ; j’aurais, si je n’avais craint de trahir mon incognito, laissé un champ libre aux élans passionnés de Rosette, et peut-être aurais-je fait quelque vaine et folle tentative pour donner un semblant de réalité à cette ombre de plaisir que ma belle amoureuse embrassait avec tant d’ardeur ; je n’avais pas encore eu d’amant ; et ces vives attaques, ces caresses réitérées, le contact de ce beau corps, ces doux noms perdus dans des baisers me troublaient au dernier point, — quoiqu’ils fussent d’une femme ; — et puis cette visite nocturne, cette passion romanesque, ce clair de lune, tout cela avait pour moi une fraîcheur et un charme de nouveauté qui me faisaient oublier qu’au bout du compte je n’étais pas un homme.

Pourtant, faisant un grand effort sur moi-même, je dis à Rosette qu’elle se compromettait horriblement en venant dans ma chambre à une pareille heure et y restant aussi longtemps, que ses femmes pourraient s’apercevoir de son absence et voir qu’elle n’avait pas passé la nuit dans son appartement.

Je dis cela si mollement que Rosette, pour toute réponse, laissa tomber sa mante de batiste et ses pantoufles, et se glissa dans mon lit comme une couleuvre dans une jatte de lait ; car elle imaginait que mes habits m’empêchaient seuls d’en venir à des démonstrations plus précises, et que c’était l’unique obstacle qui me retenait.