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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

toutes mes tendres pensées amoureuses, et les empêchait de prendre leur vol vers vous.

Je vous en supplie, Rosalinde, si vous ne m’aimez pas encore, tâchez de m’aimer, moi qui vous ai aimée malgré tout, sous le voile dont vous vous enveloppez, par pitié pour nous sans doute ; ne vouez pas le reste de ma vie au plus affreux désespoir et au plus morne découragement ; songez que je vous adore depuis que le premier rayon de la pensée a lui dans ma tête, que vous m’étiez révélée d’avance, et que, lorsque j’étais tout petit, vous m’apparaissiez en songe avec une couronne de gouttes de rosée, deux ailes prismatiques et la petite fleur bleue à la main ; que vous êtes le but, le moyen et le sens de ma vie ; que, sans vous, je ne suis rien qu’une vaine apparence, et que, si vous soufflez sur cette flamme que vous avez allumée, il ne restera au fond de moi qu’une pincée de poussière plus fine et plus impalpable que celle qui saupoudre les propres ailes de la mort. — Rosalinde, vous qui avez tant de recettes pour guérir le mal d’amour, guérissez-moi, car je suis bien malade ; jouez votre rôle jusqu’au bout, jetez les habits du beau Ganymède, et tendez votre blanche main au plus jeune fils du brave chevalier Rowland-des-Bois.


XIV


J’étais à ma fenêtre occupée à regarder les étoiles qui s’épanouissaient joyeusement aux parterres du ciel, et à respirer le parfum des belles-de-nuit que m’apportait une brise mourante. — Le vent de la croisée ouverte avait éteint ma lampe, la dernière qui restât allumée dans le château. Ma pensée dégénérait en vague rêverie, et une espèce de somnolence commençait à me prendre ; cependant je restais toujours accoudée