Page:Gautier - Mademoiselle de Maupin (Charpentier 1880).djvu/344

Cette page a été validée par deux contributeurs.
338
MADEMOISELLE DE MAUPIN.

trois fois elle fit le mouvement de lever ses mains comme pour les cacher ; mais, à moitié chemin, ses bras lassés retombèrent sur ses genoux, et elle ne put y parvenir ; — une grosse larme déborda de sa paupière et roula sur sa joue brûlante, où elle fut bientôt séchée.

Ma situation devenait fort embarrassante et passablement ridicule ; — je sentais que je devais avoir l’air énormément stupide, et cela me contrariait au dernier point, quoiqu’il ne fût pas en mon pouvoir de prendre un autre air que celui-là. — Les façons entreprenantes m’étaient interdites, et c’étaient les seules qui eussent été convenables. J’étais trop sûre de ne pas éprouver de résistance pour m’y risquer, et, en vérité, je ne savais pas de quel bois faire flèche. Dire des galanteries et débiter des madrigaux, cela eût été bon dans le commencement, mais rien n’eût paru plus fade au point où nous en étions arrivées ; — me lever et sortir eût été de la dernière grossièreté ; et d’ailleurs, je ne réponds pas que Rosette n’eût pas fait la Putiphar et ne m’eût retenue par le coin de mon manteau. — Je n’aurais eu aucun motif vertueux à lui donner de ma résistance ; et puis, je l’avouerai à ma honte, cette scène, tout équivoque que le caractère en fût pour moi, ne manquait pas d’un certain charme qui me retenait plus qu’il n’eût fallu ; cet ardent désir m’échauffait de sa flamme, et j’étais réellement fâchée de ne le pouvoir satisfaire : je souhaitai même d’être un homme, comme effectivement je le paraissais, afin de couronner cet amour, et je regrettai fort que Rosette se trompât. Ma respiration se précipitait, je sentais des rougeurs me monter à la figure, et je n’étais guère moins troublée que ma pauvre amoureuse. — L’idée de la similitude de sexe s’effaçait peu à peu pour ne laisser subsister qu’une vague idée de plaisir ; mes regards se voilaient, mes lèvres trem-