pôle où se dirige un aimant inquiet ; ma prunelle est un ciel, ma bouche est un paradis plus souhaité que le véritable ; je mourrais, une pluie tiède de larmes réchaufferait ma cendre, mon tombeau serait plus fleuri qu’une corbeille de noce ; si j’étais en danger, quelqu’un se jetterait entre la pointe de l’épée et ma poitrine : on se sacrifierait pour moi ! — c’est beau ; et je ne sais pas ce que l’on peut souhaiter de plus au monde.
Cette pensée me faisait un plaisir que je me reprochais, car pour tout cela je n’avais rien à donner, et j’étais dans la position d’une personne pauvre qui accepte des présents d’un ami riche et généreux, sans espoir de pouvoir jamais lui en faire à son tour. Cela me charmait d’être adorée ainsi, et par instants je me laissais faire avec une singulière complaisance. À force d’entendre tout le monde m’appeler monsieur, et de me voir traiter comme si j’étais un homme, j’oubliais insensiblement que j’étais femme ; — mon déguisement me semblait mon habit naturel, et il ne me souvenait pas d’en avoir jamais porté d’autre ; je ne songeais plus que je n’étais au bout du compte qu’une petite évaporée qui s’était fait une épée de son aiguille, et une paire de culottes en coupant une de ses jupes.
Beaucoup d’hommes sont plus femmes que moi. — Je n’ai guère d’une femme que la gorge, quelques lignes plus rondes, et des mains plus délicates ; la jupe est sur mes hanches et non dans mon esprit. Il arrive souvent que le sexe de l’âme ne soit point pareil à celui du corps, et c’est une contradiction qui ne peut manquer de produire beaucoup de désordre. — Moi, par exemple, si je n’avais pas pris cette résolution, folle en apparence, mais très-sage au fond, de renoncer aux habits d’un sexe qui n’est le mien que matériellement et par