autant d’espions occupés à surveiller mes actions pour en rendre compte en temps et lieu, et je n’eusse pas mangé une pomme ou un gâteau volé en leur présence.
Que de choses ces graves personnages auraient à dire, s’ils pouvaient ouvrir leurs lèvres de fil rouge, et si les sons pouvaient pénétrer dans la conque de leur oreille brodée. De combien de meurtres, de trahisons, d’adultères infâmes et de monstruosités de toutes sortes ne sont-ils pas les silencieux et impassibles témoins !…
Mais laissons la tapisserie et revenons à notre histoire.
— Alcibiade, je vais faire avertir ma tante de votre arrivée.
— Oh ! cela n’est pas fort pressé, ma sœur ; asseyons-nous d’abord et causons un peu. Je vous présente un cavalier qui a nom Théodore de Sérannes et qui passera quelque temps ici. Je n’ai pas besoin de vous recommander de lui faire bon accueil ; — il se recommande assez lui-même. (Je dis ce qu’il a dit ; ne va pas intempestivement m’accuser de fatuité.)
La belle fit un petit mouvement de tête, comme pour donner son assentiment, et l’on parla d’autre chose.
Tout en faisant la conversation, je la regardais en détail et je l’examinais plus attentivement que je n’avais pu le faire jusqu’alors.
Elle pouvait avoir vingt-trois ou vingt-quatre ans, et son deuil lui allait on ne peut mieux ; à vrai dire, elle n’avait pas l’air fort lugubre ni fort désolée, et je doute qu’elle eût mangé dans sa soupe les cendres de son Mausole en manière de rhubarbe. — Je ne sais si elle avait pleuré abondamment son époux défunt ; si elle l’avait fait, en tout cas, il n’y paraissait guère, et le joli mouchoir de batiste qu’elle tenait à sa main était aussi parfaitement sec que possible.
Ses yeux n’étaient pas rouges, mais au contraire les