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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

haute lisse de Flandre. — De grands arbres à feuilles aiguës y soutenaient des essaims d’oiseaux fantastiques ; les couleurs altérées par le temps produisaient de bizarres transpositions de nuances ; le ciel était vert, les arbres bleu de roi avec des lumières jaunes, et dans les draperies des personnages l’ombre était souvent d’une couleur opposée au fond de l’étoffe ; — les chairs ressemblaient à du bois, et les nymphes qui se promenaient sous les ombrages déteints de la forêt avaient l’air de momies démaillotées ; leur bouche seule, dont la pourpre avait conservé sa teinte primitive, souriait avec une apparence de vie. Sur le devant, se hérissaient de hautes plantes d’un vert singulier avec de larges fleurs panachées dont les pistils ressemblaient à des aigrettes de paon. Des hérons à la mine sérieuse et pensive, la tête enfoncée dans les épaules, leur long bec reposant sur leur jabot rebondi, se tenaient philosophiquement debout sur une de leurs maigres pattes, dans une eau dormante et noire, rayée de fils d’argent ternis ; par les échappées du feuillage, on voyait dans le lointain de petits châteaux avec des tourelles pareilles à des poivrières et des balcons chargés de belles dames en grands atours qui regardaient passer des cortéges ou des chasses.

Des rocailles capricieusement dentelées, d’où tombaient des torrents de laine blanche, se confondaient au bord de l’horizon avec des nuages pommelés.

Une des choses qui me frappèrent le plus, ce fut une chasseresse qui tirait un oiseau. — Ses doigts ouverts venaient de lâcher la corde, et la flèche était partie ; mais, comme cet endroit de la tapisserie se trouvait à une encoignure, la flèche était de l’autre côté de la muraille et avait décrit un grand crochet ; pour l’oiseau, il s’envolait sur ses ailes immobiles et semblait vouloir gagner une branche voisine.