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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

le parc, ou dans ma chambre, ou dans la sienne, car il vient me voir et je vais le voir, mais je les laisse passer sans m’en servir, bien que l’instant d’après j’en éprouve un regret mortel, et que j’entre contre moi-même en des colères horribles. J’ouvre la bouche, et malgré moi d’autres mots se substituent aux mots que je voudrais dire ; au lieu de déclarer mon amour, je disserte sur la pluie et le beau temps ou telle autre stupidité pareille. Cependant la saison va finir, et bientôt l’on retournera à la ville ; les facilités qui s’ouvrent ici favorablement devant mes désirs ne se retrouveront nulle part : — nous nous perdrons peut-être de vue, et un courant opposé nous emportera sans doute.

La liberté de la campagne est une chose si charmante et si commode ! — les arbres même un peu effeuillés de l’automne offrent de si délicieux ombrages aux rêveries du naissant amour ! il est difficile de résister au milieu de la belle nature ! les oiseaux ont des chansons si langoureuses, les fleurs des parfums si enivrants, le revers des collines des gazons si dorés et si soyeux ! La solitude vous inspire mille voluptueuses pensées, que le tourbillon du monde eût dispersées ou fait envoler çà et là, et le mouvement instinctif de deux êtres qui entendent battre leur cœur dans le silence d’une campagne déserte, est d’enlacer leurs bras plus étroitement et de se replier l’un sur l’autre, comme si effectivement il n’y avait plus qu’eux de vivants au monde.

J’ai été me promener ce matin ; le temps était doux et humide, le ciel ne laissait pas entrevoir le moindre losange d’azur ; cependant il n’était ni sombre ni menaçant. Deux ou trois tons de gris de perle, harmonieusement fondus, le noyaient d’un bout à l’autre, et sur ce fond vaporeux passaient lentement des nuages cotonneux semblables à de grands morceaux d’ouate ; ils