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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

qui ne fond point au feu des plus ardents soupirs, mais dont la croûte glacée s’épaissit de plus en plus et devient dure comme le diamant ; mais à peine a-t-elle vu Rosalinde sous les habits du beau page Ganymède, que toute cette glace se résout en pleurs et que le diamant devient plus mou que de la cire. L’orgueilleuse Phœbé, qui se riait de l’amour, est amoureuse elle-même ; elle souffre maintenant les tourments qu’elle faisait endurer aux autres. Sa fierté s’abat jusqu’à faire toutes les avances, et elle fait porter à Rosalinde, par le pauvre Sylvius, une lettre brûlante qui contient l’aveu de sa passion dans les termes les plus humbles et les plus suppliants. Rosalinde, touchée de pitié pour Sylvius, et ayant d’ailleurs les plus excellentes raisons du monde pour ne pas répondre à l’amour de Phœbé, lui fait essuyer les traitements les plus durs et se moque d’elle avec une cruauté et un acharnement sans pareils. Phœbé préfère cependant ces injures aux plus délicats et plus passionnés madrigaux de son malheureux berger ; elle suit partout le bel inconnu, et à force d’importunités, ce qu’elle en peut tirer de plus doux est cette promesse que, si jamais il épouse une femme, à coup sûr ce sera elle ; en attendant, il l’engage à bien traiter Sylvius et à ne pas se bercer d’une trop flatteuse espérance.

Rosette s’est acquittée de son rôle avec une grâce triste et caressante, un ton douloureux et résigné qui allait au cœur ; — et lorsque Rosalinde lui dit : « Je vous aimerais, si je pouvais, » les larmes furent au moment de déborder de ses yeux, et elle eut peine à les contenir, car l’histoire de Phœbé est la sienne, comme celle d’Orlando est la mienne, à cette différence près que tout se dénoue heureusement pour Orlando, et que Phœbé, trompée dans son amour, au lieu