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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

sous un vain déguisement, mais sous son costume réel ; non plus avec la forme dérisoire d’un jeune homme, mais avec les traits de la plus charmante femme.

J’éprouvais une sensation de bien-être énorme, comme si l’on m’eût ôté une montagne ou deux de dessus la poitrine. — Je sentis s’évanouir l’horreur que j’avais de moi-même, et je fus délivré de l’ennui de me regarder comme un monstre. Je revins à concevoir de moi une opinion tout à fait pastorale, et toutes les violettes du printemps refleurirent dans mon cœur.

Il, ou plutôt elle (car je ne veux plus me souvenir que j’ai eu cette stupidité de la prendre pour un homme), resta une minute immobile sur le seuil de la porte, comme pour donner le temps à l’assemblée de jeter sa première exclamation. Un vif rayon l’éclairait de la tête aux pieds, et sur le fond sombre du corridor qui s’allégeait au loin par derrière, le chambranle sculpté lui servant de cadre, elle étincelait comme si la lumière fût émanée d’elle au lieu d’être simplement réfléchie, et on l’eût plutôt prise pour une production merveilleuse du pinceau que pour une créature humaine faite de chair et d’os.

Ses grands cheveux bruns, entremêlés de cordons de grosses perles, tombaient en boucles naturelles au long de ses belles joues ! ses épaules et sa poitrine étaient découvertes, et jamais je n’ai rien vu de si beau au monde ; le marbre le plus élevé n’approche pas de cette exquise perfection. — Comme on voit la vie courir sous cette transparence d’ombre ! comme cette chair est blanche et colorée à la fois ! et que ces teintes harmonieusement blondissantes ménagent avec bonheur la transition de la peau aux cheveux ! quels ravissants poëmes dans les moelleuses ondulations de ces contours plus souples et plus veloutés que le cou des cygnes ! — S’il y avait des