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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

baissant tout à coup, et refaisant sept à huit fois le même geste. Si l’on ne savait pas que nous devons jouer la comédie, assurément l’on nous prendrait pour une maisonnée de fous ou de poëtes (ce qui est presque un pléonasme).

Je pense que nous saurons bientôt assez pour faire une répétition. — Je m’attends à quelque chose de très-singulier. Peut-être ai-je tort. — J’ai eu peur un instant qu’au lieu de jouer d’inspiration nos acteurs ne s’attachassent à reproduire les poses et les inflexions de voix de quelque comédien en vogue ; mais ils n’ont heureusement pas suivi le théâtre avec assez d’exactitude pour tomber dans cet inconvénient, et il est à croire qu’ils auront, à travers la gaucherie de gens qui n’ont jamais monté sur les planches, de précieux éclairs de naturel et de ces charmantes naïvetés que le talent le plus consommé ne saurait reproduire.

Notre jeune peintre a vraiment fait des merveilles : — il est impossible de donner une tournure plus étrange aux vieux troncs d’arbres et aux lierres qui les enlacent ; il a pris modèle sur ceux du parc en les accentuant et les exagérant, ainsi que cela doit être pour une décoration. Tout est touché avec une fierté et un caprice admirables ; les pierres, les rochers, les nuages sont d’une forme mystérieusement grimaçante ; des reflets miroitants jouent sur les eaux tremblantes et plus émues que le vif-argent, et la froideur ordinaire des feuillages est merveilleusement relevée par des teintes de safran qu’y jette le pinceau de l’automne ; la forêt varie depuis le vert de l’émeraude jusqu’à la pourpre de la cornaline ; les tons les plus chauds et les plus frais se heurtent harmonieusement, et le ciel lui-même passe du bleu le plus tendre aux couleurs les plus ardentes.

Il a dessiné tous les costumes sur mes indications ;