nomène de la vie me cause un étonnement dont je ne puis revenir. — Je ferai sans doute un excellent mort, car je suis un assez pauvre vivant, et le sens de mon existence m’échappe complétement. Le son de ma voix me surprend à un point inimaginable, et je serais tenté quelquefois de la prendre pour la voix d’un autre. Lorsque je veux étendre mon bras et que mon bras m’obéit, cela me paraît tout à fait prodigieux, et je tombe dans la plus profonde stupéfaction.
En revanche, Silvio, je comprends parfaitement l’inintelligible ; les données les plus extravagantes me semblent fort naturelles, et j’y entre avec une facilité singulière. Je trouve aisément la suite du cauchemar le plus capricieux et le plus échevelé. — C’est la raison pourquoi le genre de pièces dont je te parlais tout à l’heure me plaît par-dessus tous les autres.
Nous avons avec Théodore et Rosette de grandes discussions à ce sujet : Rosette goûte peu mon système, elle est pour la vérité vraie ; Théodore donne au poëte plus de latitude, et admet une vérité de convention et d’optique. — Moi, je soutiens qu’il faut laisser le champ tout à fait libre à l’auteur et que la fantaisie doit régner en souveraine.
Beaucoup de personnes de la compagnie se fondaient principalement sur ce que ces pièces étaient en général hors des conditions théâtrales et ne pouvaient pas se jouer ; je leur ai répondu que cela était vrai dans un sens et faux dans l’autre, à peu près comme tout ce que l’on dit, et que les idées que l’on avait sur les possibilités et les impossibilités de la scène me paraissaient manquer de justesse et tenir à des préjugés plutôt qu’à des raisons, et je dis, entre autres choses, que la pièce Comme il vous plaira était assurément très-exécutable, surtout pour des gens du