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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

Ce ne sont pas eux, les beaux acteurs, qui iraient, comme ces hurleurs de drame, se tordre la bouche et se sortir les yeux de la tête pour dépêcher la tirade à effet ; — au moins ils n’ont pas l’air d’ouvriers à la tâche, de bœufs attelés à l’action et pressés d’en finir ; ils ne sont pas plâtrés de craie et de rouge d’un demi-pouce d’épaisseur ; ils ne portent pas des poignards de fer-blanc, et ils ne tiennent pas en réserve sous leur casaque une vessie de porc remplie de sang de poulet ; ils ne traînent pas le même lambeau taché d’huile pendant des actes entiers.

Ils parlent sans se presser, sans crier, comme des gens de bonne compagnie qui n’attachent pas grande importance à ce qu’ils font : l’amoureux fait à l’amoureuse sa déclaration de l’air le plus détaché du monde ; tout en causant, il frappe sa cuisse du bout de son gant blanc, ou rajuste ses canons. La dame secoue nonchalamment la rosée de son bouquet, et fait des pointes avec sa suivante ; l’amoureux se soucie très-peu d’attendrir sa cruelle : sa principale affaire est de laisser tomber de sa bouche des grappes de perles, des touffes de roses, et de semer en vrai prodigue les pierres précieuses poétiques ; — souvent même il s’efface tout à fait, et laisse l’auteur courtiser sa maîtresse pour lui. La jalousie n’est pas son défaut, et son humeur est des plus accommodantes. Les yeux levés vers les bandes d’air et les frises du théâtre, il attend complaisamment que le poëte ait achevé de dire ce qui lui passait par la fantaisie pour reprendre son rôle et se remettre à genoux.

Tout se noue et se dénoue avec une insouciance admirable : les effets n’ont point de cause, et les causes n’ont point d’effet ; le personnage le plus spirituel est celui qui dit le plus de sottises ; le plus sot dit les choses les