Page:Gautier - Mademoiselle de Maupin (Charpentier 1880).djvu/266

Cette page a été validée par deux contributeurs.
260
MADEMOISELLE DE MAUPIN.

le nombre des sots en les représentant ; il y en a déjà bien assez comme cela, Dieu merci, et la race n’est pas près de finir. — Où est la nécessité que l’on fasse le portrait de quelqu’un qui a un groin de porc ou un mufle de bœuf, et qu’on recueille les billevesées d’un manant que l’on jetterait par la fenêtre s’il venait chez vous ? L’image d’un cuistre est aussi peu intéressante que ce cuistre lui-même, et pour être vu au miroir, ce n’en est pas moins un cuistre. — Un acteur qui parviendrait à imiter parfaitement les poses et les manières des savetiers ne m’amuserait pas beaucoup plus qu’un savetier réel.

Mais il est un théâtre que j’aime, c’est le théâtre fantastique, extravagant, impossible, où l’honnête public sifflerait impitoyablement dès la première scène, faute d’y comprendre un mot.

C’est un singulier théâtre que celui-là. — Des vers luisants y tiennent lieu de quinquets ; un scarabée battant la mesure avec ses antennes est placé au pupitre. Le grillon y fait sa partie ; le rossignol est première flûte ; de petits sylphes, sortis de la fleur des pois, tiennent des basses d’écorce de citron entre leurs jolies jambes plus blanches que l’ivoire, et font aller à grand renfort de bras des archets faits avec un cil de Titania sur des cordes de fil d’araignée ; la petite perruque à trois marteaux dont est coiffé le scarabée chef d’orchestre frissonne de plaisir, et répand autour d’elle une poussière lumineuse, tant l’harmonie est douce et l’ouverture bien exécutée !

Un rideau d’ailes de papillon, plus mince que la pellicule intérieure d’un œuf, se lève lentement après les trois coups de rigueur. La salle est pleine d’âmes de poëtes assises dans des stalles de nacre de perle, et qui regardent le spectacle à travers des gouttes de ro-