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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

les rêves de volupté indécise dont le printemps berce notre sommeil, la seule pensée que l’on ait depuis l’âge de quinze ans !

Un homme ! — L’idée confuse du plaisir flottait dans ma tête alourdie. Le peu que j’en savais allumait encore mon désir. Une ardente curiosité me poussait d’éclaircir une bonne fois les doutes qui m’embarrassaient et se représentaient sans cesse à mon esprit. La solution du problème était derrière la page : il n’y avait qu’à la tourner, le livre était à côté de moi. — Un chevalier assez beau, un lit assez étroit, une nuit assez noire ! — une jeune fille avec quelques verres de vin de Champagne dans le cerveau ! — quel assemblage suspect ! — Eh bien ! de tout cela il n’est résulté qu’un très-honnête néant.

Sur le mur où je tenais les yeux fixés, à la faveur d’une obscurité moins épaisse, je commençais à distinguer la place de la croisée ; les carreaux devenaient moins opaques, et la lueur grise du matin, qui glissait derrière, leur rendait la transparence ; le ciel s’éclaira peu à peu : il était jour. — Tu ne peux t’imaginer quel plaisir me fit ce pâle rayon sur la teinture verte de serge d’Aumale qui entourait le glorieux champ de bataille où ma vertu avait triomphé de mes désirs ! Il me sembla que c’était ma couronne de victoire.

Quant au compagnon, il était tout à fait tombé par terre.

Je me levai, je me rajustai au plus vite et je courus à la fenêtre ; je l’ouvris, la brise matinale me fit du bien. Pour me peigner je me mis devant le miroir, et je fus étonnée de la pâleur de ma figure que je croyais pourpre.

Les autres entrèrent pour voir si nous étions encore