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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

dansent la sarabande ; ces lèvres, qui ne débitaient que maximes austères, se plissent et s’avancent comme pour des baisers ; ces bras, si fermes à repousser, s’amollissent et se font plus souples et plus enlaçants que des écharpes. Ajoutez à cela le contact d’un épiderme, le souffle d’une haleine à travers vos cheveux, et tout est perdu. — Souvent même il ne faut pas tant : — une odeur de feuillage qui vous arrive des champs par votre fenêtre entr’ouverte, la vue de deux oiseaux qui se becquettent, une marguerite qui s’épanouit, une ancienne chanson d’amour qui vous revient malgré vous et que vous répétez sans en comprendre le sens, un vent tiède qui vous trouble et vous enivre, la mollesse de votre lit ou de votre divan, il suffit d’une de ces circonstances ; la solitude même de votre chambre vous fait penser que l’on y serait bien deux et que l’on ne saurait trouver un nid plus charmant pour une couvée de plaisirs. Ces rideaux tirés, ce demi-jour, ce silence, tout vous ramène à l’idée fatale qui vous effleure de ses perfides ailes de colombe, et qui roucoule tout doucement autour de vous. Les tissus qui vous touchent semblent vous caresser et collent amoureusement leurs plis au long de votre corps. — Alors la jeune fille ouvre ses bras au premier laquais avec qui elle se trouve seule ; le philosophe laisse sa page inachevée, et, la tête dans son manteau, court en toute hâte chez la plus voisine courtisane.

Je n’aimais certainement pas l’homme qui me causait des agitations si étranges. — Il n’avait d’autre charme que de ne pas être une femme, et, dans l’état où je me trouvais, c’était assez ! Un homme ! cette chose si mystérieuse qu’on nous dérobe avec tant de soin, cet animal étrange dont nous savons si peu l’histoire, ce démon ou ce dieu qui peut seul réaliser tous