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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

ture à me prédisposer à la tendresse et à la volupté : — j’avais les hommes en horreur. — Cependant j’étais plus inquiète et plus agitée que je n’aurais dû l’être : mon corps ne partageait pas la répugnance de mon esprit autant qu’il l’aurait fallu. — Mon cœur battait fort, j’avais chaud, et, de quelque côté que je me tournasse, je ne pouvais trouver le repos.

Le silence le plus profond régnait dans l’auberge ; on entendait seulement de loin en loin le bruit sourd que faisait le pied de quelque cheval en frappant le pavé de l’écurie, ou le son d’une goutte d’eau qui tombait sur la cendre par le tuyau de la cheminée. La chandelle, arrivée au bout de la mèche, s’éteignit en fumant.

Les ténèbres les plus épaisses s’abaissèrent entre nous deux comme des rideaux. — Tu ne peux t’imaginer l’effet que fit sur moi la disparition subite de la lumière. — Il me sembla que tout était fini, et que je ne devais plus y voir clair de ma vie. — J’eus envie un instant de me lever ; mais qu’aurais-je fait ? Il n’était que deux heures du matin, toutes les lumières étaient éteintes, et je ne pouvais errer comme un fantôme dans une maison inconnue. Force me fut de rester en place et d’attendre le jour.

J’étais là, sur le dos, les deux mains croisées, tâchant de penser à quelque chose et retombant toujours sur ceci, à savoir : que j’étais couchée avec un homme. J’allais jusqu’à désirer qu’il s’éveillât et s’aperçût que j’étais une femme. — Sans doute, le vin que j’avais bu, quoique en petite quantité, était pour quelque chose dans cette idée extravagante, mais je ne pouvais m’empêcher d’y revenir. — Je fus sur le point d’allonger la main de son côté, de l’éveiller et de lui dire ce que j’étais. — Un pli de la couverture qui m’arrêta le bras fut la cause qui m’empêcha de pousser la chose