— En effet, qui eût pensé que la petite Madeleine, au lieu d’être couchée dans son lit bien chaud, avec sa veilleuse d’albâtre à côté d’elle, un roman sous son oreiller, sa femme de chambre dans le cabinet voisin, prête à accourir à la moindre terreur nocturne, se balançait sur une chaise de paille, dans une auberge de campagne, à vingt lieues de sa maison, ses pieds bottés posés sur les chenets, et ses petites mains crânement enfoncées dans ses goussets ?
Oui, Madelinette n’est pas restée, comme ses compagnes, le coude paresseusement appuyé au bord du balcon, entre le volubilis et les jasmins de la fenêtre, à suivre, au bout de la plaine, les franges violettes de l’horizon, ou quelque petit nuage couleur de rose, arrondi par la brise de mai. Elle n’a pas tapissé, avec la feuille des lis, des palais de nacre de perle pour y loger ses chimères ; elle n’a pas, comme vous, les belles rêveuses, habillé quelque fantôme creux de toutes les perfections imaginables ; elle a voulu connaître les hommes avant de se donner à un homme ; elle a tout quitté, ses belles robes de velours et de soie aux couleurs éclatantes, ses colliers, ses bracelets, ses oiseaux et ses fleurs ; elle a renoncé volontairement aux adorations, aux galanteries prosternées, aux bouquets et aux madrigaux, au plaisir d’être trouvée plus belle et mieux parée que vous, à son doux nom de femme, à tout ce qui fut elle, et elle s’en est allée, la courageuse fille, toute seule, apprendre à travers le monde la grande science de la vie.
Si l’on savait cela, l’on dirait que Madeleine est folle. — Tu l’as dit toi-même, ma chère Graciosa ; — mais les véritables folles sont celles qui jettent leur âme au vent, et sèment leur amour au hasard sur la pierre et le rocher, sans savoir si un seul épi germera.