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MASEMOISELLE DE MAUPIN.

humant un doux parfum d’écurie plus agréable pour lui que toutes les odeurs des marguerites et des fraises des bois, il courut tout droit à l’hôtel du Lion-Rouge.

Une blonde lueur rayonnait à travers le vitrage de plomb de l’auberge, dont l’enseigne de fer-blanc se balançait à droite et à gauche, et geignait comme une vieille femme, car la bise commençait à fraîchir. — Je remis mon cheval aux mains d’un palefrenier, et j’entrai dans la cuisine.

Une énorme cheminée, ouvrant au fond sa gueule rouge et noire, avalait un fagot à chaque bouchée, et de chaque côté des chenets, deux chiens, assis sur leur derrière et presque aussi grands que des hommes, se faisaient cuire avec le plus grand flegme du monde, se contentant de lever un peu leurs pattes et de pousser une espèce de soupir quand la chaleur devenait plus intense ; mais, à coup sûr, ils eussent mieux aimé être réduits en charbon que de reculer d’un pas.

Mon arrivée ne parut pas leur faire plaisir, et ce fut en vain que, pour faire connaissance avec eux, je leur passai, à plusieurs reprises, la main sur la tête ; ils me jetaient des regards en dessous qui ne signifiaient rien de bon. — Cela m’étonna, car les animaux viennent à moi volontiers.

L’hôtelier s’approcha pour me demander ce que je voulais à souper.

C’était un homme pansu, avec un nez rouge, des yeux vairons et un sourire qui lui faisait le tour de la tête. À chaque mot qu’il disait, il montrait une double rangée de dents pointues et séparées comme celles des ogres. Le grand couteau de cuisine qui pendait à son côté avait un air douteux et semblait pouvoir servir à plusieurs usages. Quand je lui eus dit ce que je désirais, il alla à un des chiens, et lui donna un coup de pied