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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

ardents ; les quelques mots étouffés, les demi-lambeaux de phrase qui m’arrivaient par intervalles irritaient au plus haut point ma curiosité sans pouvoir la satisfaire, et j’entrais dans des doutes et des perplexités étranges.

Le plus souvent ce qu’on disait avait une apparence favorable, et ce n’était pas ce qui m’inquiétait : je me souciais assez peu que l’on me trouvât belle ; mais les menues observations coulées dans le tuyau de l’oreille et presque toujours suivies de longs ricanements et de singuliers clignements d’yeux, — voilà ce que j’aurais voulu savoir ; et, pour une de ces phrases dites tout bas derrière un rideau ou dans l’encoignure d’une porte, j’aurais quitté sans regret l’entretien le plus fleuri et le plus parfumé du monde.

Si j’avais eu un amant, j’aurais beaucoup aimé connaître la manière dont il eût parlé de moi à un autre homme, et en quels termes il se serait vanté de sa bonne fortune à ses camarades d’orgie avec un peu de vin dans la tête et les deux coudes sur la nappe.

Je le sais maintenant, et en vérité je suis fâchée de le savoir. — C’est toujours ainsi.

Mon idée était folle, mais ce qui est fait est fait, et l’on ne peut désapprendre ce qu’on a appris. Je ne t’ai pas écoutée, ma chère Graciosa, je m’en repens ; mais on n’écoute pas toujours la raison, surtout quand elle sort d’une aussi jolie bouche que la tienne, car je ne sais pourquoi on ne se peut figurer qu’un conseil soit sage, à moins qu’il ne soit donné par quelque vieille tête toute chenue et toute grise, comme si avoir été bête soixante ans pouvait vous rendre spirituel.

Mais tout cela me tourmentait trop, et je n’y pouvais tenir, je grillais dans ma petite peau comme une châtaigne sur la poêle. La pomme fatale s’arrondissait