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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

çons moins sobres et plus dégagées, les claires réticences et les détours aboutissant vite d’une corruption qui sait qu’elle a devant elle une corruption semblable : je sentais bien qu’il y avait entre eux un élément commun qui n’existait pas entre nous, et j’aurais tout donné pour savoir quel était cet élément.

Avec quelle anxiété et quelle furie curieuse je suivais de l’œil et de l’oreille les groupes bourdonnants et rieurs de jeunes gens qui, après s’être abattus sur quelques points du cercle, reprenaient leur promenade tout en causant et en jetant au passage des œillades ambiguës. Sur leurs bouches dédaigneusement bouffies voltigeaient des ricanements incrédules ; ils avaient l’air de se moquer de ce qu’ils venaient de dire, et de rétracter les compliments et les adorations dont ils nous avaient comblées. Je n’entendais pas leurs paroles ; mais je comprenais, au mouvement de leurs lèvres, qu’ils prononçaient des mots d’une langue qui m’était inconnue et dont personne ne s’était servi devant moi. Ceux mêmes qui avaient l’air le plus humble et le plus soumis redressaient la tête avec une nuance très-sensible de révolte et d’ennui ; — un soupir d’essoufflement, pareil au soupir d’un acteur qui est arrivé au bout d’un long couplet, s’échappait malgré eux de leur poitrine, et ils faisaient en nous quittant un demi-tour sur les talons d’une manière vive et pressée qui dénonçait une espèce de satisfaction intérieure d’être délivrés de la rude corvée d’être honnêtes et galants.

J’aurais donné un an de ma vie pour entendre, sans être vue, une heure de leur conversation. Souvent je comprenais, à de certaines attitudes, à quelques gestes détournés, à des coups d’œil lancés obliquement, qu’il était question de moi et que l’on parlait ou de mon âge ou de ma figure. Alors j’étais sur des charbons