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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

blonde, toute rougissante, ployant au moindre souffle, vous débiter ces généreuses tirades d’une seule haleine et de l’air le plus martial du monde.

Moi, quoique je n’eusse que six mois de plus que toi, j’étais de six ans moins romanesque : une chose m’inquiétait principalement, c’était de savoir ce que les hommes se disaient entre eux et ce qu’ils faisaient lorsqu’ils étaient sortis des salons et des théâtres : je pressentais dans leur vie beaucoup de côtés défectueux et obscurs, soigneusement voilés à nos regards, et qu’il nous importait beaucoup de connaître ; quelquefois, cachée derrière un rideau, j’épiais de loin les cavaliers qui venaient à la maison, et il me semblait alors démêler dans leur allure quelque chose d’ignoble et de cynique, une insouciance grossière ou une préoccupation farouche que je ne leur retrouvais plus dès qu’ils étaient entrés, et qu’ils semblaient dépouiller comme par enchantement sur le seuil de la chambre. Tous, les jeunes comme les vieux, me paraissaient avoir adopté uniformément un masque de convention, des sentiments de convention et un parler de convention, lorsqu’ils étaient devant les femmes. — De l’angle du salon où je me tenais droite comme une poupée et sans appuyer le dos à mon fauteuil, tout en roulant mon bouquet entre mes doigts, j’écoutais, je regardais ; mes yeux étaient baissés cependant, et je voyais tout à droite, à gauche, devant et derrière moi : — comme les yeux fabuleux du lynx, mes yeux perçaient les murailles, et j’aurais dit ce qui se passait dans la pièce à côté.

Je m’étais aussi aperçue d’une notable différence dans la manière dont on parlait aux femmes mariées ; ce n’étaient plus les phrases discrètes et polies, enjolivées puérilement comme on en adressait à moi ou à mes compagnes, c’était un enjouement plus libre, des fa-