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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

dont je le peuple, je n’ai jamais eu l’idée de les aimer ; je n’en ai jamais supposé une amoureuse de moi. — Dans ce sérail fantastique, je ne me suis pas créé de sultane favorite. Il y a des négresses, des mulâtresses, des juives à peau bleue et à cheveux rouges, des Grecques et des Circassiennes, des Espagnoles et des Anglaises ; mais ce ne sont pour moi que des symboles de couleur et de linéament, et je les ai comme l’on a toute sorte de vins dans sa cave, et toutes les espèces de colibris dans sa collection. Ce sont des machines à plaisir, des tableaux qui n’ont pas besoin de cadre, des statues qui viennent à vous quand on les appelle et que l’envie vous prend de les considérer de près. Une femme a sur une statue cet incontestable avantage, qu’elle se tourne toute seule du côté où l’on veut, et qu’il faut faire soi-même le tour de la statue et se placer au point de vue ; — ce qui est fatigant.

Tu vois bien qu’avec des idées semblables, je ne puis rester ni dans ce temps ni dans ce monde-ci ; car on ne peut subsister ainsi à côté du temps et de l’espace. Il faut que je trouve autre chose.

En pensant ainsi, il est simple et logique que l’on aboutisse à une pareille conclusion. — Comme on ne cherche que la satisfaction de l’œil, le poli de la forme et la pureté du linéament, on les accepte partout où on les rencontre. C’est ce qui explique les singulières aberrations de l’amour antique.

Depuis le Christ on n’a plus fait une seule statue d’homme où la beauté adolescente fût idéalisée et rendue avec ce soin qui caractérise les anciens sculpteurs. — La femme est devenue le symbole de la beauté morale et physique : l’homme est réellement déchu du jour où le petit enfant est né à Bethléem. La femme est la reine de la création ; les étoiles se joignent en