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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

pied des arbres : tout rayonne, tout reluit, tout resplendit. Le moindre détail prend de la fermeté et s’accentue hardiment ; chaque objet revêt une forme et une couleur robustes. Il n’y a pas là de place pour la mollesse et la rêvasserie de l’art chrétien. — Ce monde-là est le mien. — Les ruisseaux de mes paysages tombent à flots sculptés d’une urne sculptée ; entre ces grands roseaux verts et sonores comme ceux de l’Eurotas, on voit luire la hanche ronde et argentée de quelque naïade aux cheveux glauques. Dans cette sombre forêt de chênes, voici Diana qui passe la trousse au dos avec son écharpe volante et ses brodequins aux bandes entrelacées. Elle est suivie de sa meute et de ses nymphes aux noms harmonieux. — Mes tableaux sont peints avec quatre tons, comme les tableaux des peintres primitifs, et souvent ce ne sont que des bas-reliefs coloriés ; car j’aime à toucher du doigt ce que j’ai vu et à poursuivre la rondeur des contours jusque dans ses replis les plus fuyants ; je considère chaque chose sous tous les profils et je tourne à l’entour une lumière à la main. — J’ai regardé l’amour à la lumière antique et comme un morceau de sculpture plus ou moins parfait. Comment est le bras ? Assez bien. — Les mains ne manquent pas de délicatesse. — Que pensez-vous de ce pied ? Je pense que la cheville n’a pas de noblesse, et que le talon est commun. Mais la gorge est bien placée et d’une bonne forme, la ligne serpentine est assez ondoyante, les épaules sont grasses et d’un beau caractère. — Cette femme serait un modèle passable, et l’on en pourrait mouler plusieurs portions. — Aimons-la.

J’ai toujours été ainsi. J’ai pour les femmes le regard d’un sculpteur et non celui d’un amant. Je me suis toute ma vie inquiété de la forme du flacon, jamais de la qualité du contenu. J’aurais eu la boîte de Pandore