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MADEMOISELLE DE MAUPIN.
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reilles aux grappes de raisin de l’Érigone antique, lui pendaient gracieusement le long des joues et encadraient d’une manière charmante l’ovale fin et correct de sa belle figure. Son cou rond et potelé était entièrement nu, et il avait une espèce de robe de chambre à larges manches qui ressemblait assez à une robe de femme. — Il tenait en main une tulipe jaune qu’il déchiquetait impitoyablement dans sa rêverie, et dont il jetait les morceaux au vent.

Un des angles lumineux que le soleil dessinait sur le mur se vint projeter contre la fenêtre, et le tableau se dora d’un ton chaud et transparent à faire envie à la toile la plus chatoyante du Giorgione.

Avec ces longs cheveux que la brise remuait doucement, ce cou de marbre ainsi découvert, cette grande robe serrée autour de la taille, ces belles mains sortant de leurs manchettes comme les pistils d’une fleur du milieu de leurs pétales, — il avait l’air non du plus beau des hommes, mais de la plus belle des femmes, — et je me disais dans mon cœur : — C’est une femme, oh ! c’est une femme ! — Puis je me souviens tout à coup d’une folie que je t’ai écrite il y a longtemps, — tu sais, — à l’endroit de mon idéal et de la manière dont je le devais assurément rencontrer : la belle dame du parc de Louis XIII, le château rouge et blanc, la grande terrasse, les allées de vieux marronniers et l’entrevue à la fenêtre ; je t’ai fait autrefois tout ce détail. — C’était bien cela, — ce que je voyais était la réalisation précise de mon rêve. — C’était bien le style d’architecture, l’effet de lumière, le genre de beauté, la couleur et le caractère que j’avais souhaités ; — il n’y manquait rien, seulement la dame était un homme ; — mais je t’avoue qu’en ce moment-là je l’avais entièrement oublié.