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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

lampe. Son ombre vient de passer sur le rideau : dans une heure nous allons souper ensemble.

Ces belles paupières turques, ce regard limpide et profond, cette chaude couleur d’ambre pâle, ces longs cheveux noirs lustrés, ce nez d’une coupe fine et fière, ces emmanchements et ces extrémités déliées et sveltes à la manière du Parmeginiano, ces délicates sinuosités, cette pureté d’ovale, qui donnent tant d’élégance et d’aristocratie à une tête, tout ce que je voulais, ce que j’aurais été heureux de trouver disséminé dans cinq ou six personnes, j’ai tout cela réuni dans une seule personne !

Ce que j’adore le plus entre toutes les choses du monde, — c’est une belle main. — Si tu voyais la sienne ! quelle perfection ! comme elle est d’une blancheur vivace ! quelle mollesse de peau ! quelle pénétrante moiteur ! comme le bout de ses doigts est admirablement effilé ! comme l’œil de ses ongles se dessine nettement ! quel poli et quel éclat ! on dirait des feuilles intérieures d’une rose, — les mains d’Anne d’Autriche, si vantées, si célébrées, ne sont, à celles-là, que des mains de gardeuse de dindons ou de laveuse de vaisselle. — Et puis quelle grâce, quel art dans les moindres mouvements de cette main ! comme ce petit doigt se replie gracieusement et se tient un peu écarté de ses grands frères ! — La pensée de cette main me rend fou, et fait frémir et brûler mes lèvres. — Je ferme les yeux pour ne plus la voir ; mais du bout de ses doigts délicats elle me prend les cils et m’ouvre les paupières, fait passer devant moi mille visions d’ivoire et de neige.

Ah ! sans doute, c’est la griffe de Satan qui s’est gantée de cette peau de satin ; — c’est quelque démon railleur qui se joue de moi ; — il y a ici du sortilége. — C’est trop monstrueusement impossible.