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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

cœur qui bat, l’eau qui remue un caillou, un brin d’herbe ou une pensée qui pousse, une goutte d’eau qui roule au long d’un calice, une larme qui déborde au long d’une paupière, un soupir d’amour, un bruissement de feuille… — quelles soirées nous avons passées là à nous promener à pas lents, si près du bord que souvent nous marchions un pied dans l’eau et l’autre sur la terre.

Hélas ! — cela a peu duré, chez moi du moins, — car toi, en acquérant la science de l’homme, tu as su garder la candeur de l’enfant. — Le germe de corruption qui était en moi s’est développé bien vite, et la gangrène a dévoré impitoyablement tout ce que j’avais de pur et de sain. — Il ne m’est resté de bon que mon amitié pour toi.

J’ai l’habitude de ne te rien cacher, — ni actions ni pensées. — J’ai mis à nu devant toi les plus secrètes fibres de mon cœur ; si bizarres, si ridicules, si excentriques que soient les mouvements de mon âme, il faut que je te les décrive ; mais, en vérité, ce que j’éprouve depuis quelque temps est d’une telle étrangeté, que j’ose à peine en convenir devant moi-même. Je t’ai dit quelque part que j’avais peur, à force de chercher le beau et de m’agiter pour y parvenir, de tomber à la fin dans l’impossible ou dans le monstrueux. — J’en suis presque arrivé là ; quand donc sortirai-je de tous ces courants qui se contrarient et m’entraînent à gauche et à droite ; quand le pont de mon vaisseau cessera-t-il de trembler sous mes pieds et d’être balayé par les vagues de toutes ces tempêtes ? où trouverai-je un port où je puisse jeter l’ancre et un rocher inébranlable et hors de la portée des flots où je puisse me sécher et tordre l’écume de mes cheveux.

Tu sais avec quelle ardeur j’ai recherché la beauté