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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

avance, étant sûr de les rattraper dès qu’il le voudrait. — Il semblait attendre quelque chose, et se retournait souvent du côté du château.

— Théodore ! Théodore ! arrivez donc ! est-ce que vous êtes monté sur un cheval de bois ? lui cria Rosette.

Théodore fit prendre un temps de galop à sa bête et diminua la distance qui le séparait de Rosette, sans toutefois la faire disparaître.

Il regarda encore du côté du château qu’on commençait à perdre de vue ; un petit tourbillon de poussière, dans lequel s’agitait très-vivement quelque chose qu’on ne pouvait encore discerner, parut au bout du chemin. — En quelques instants le tourbillon fut à côté de Théodore, et laissa voir, en s’entr’ouvrant comme les nuées classiques de l’Iliade, la figure rose et fraîche du page mystérieux.

— Théodore, allons donc ! cria une seconde fois Rosette, donnez donc de l’éperon à votre tortue et venez à côté de nous.

Théodore lâcha la bride à son cheval qui piaffait et se cabrait d’impatience, et en quelques secondes il eut dépassé de plusieurs têtes d’Albert et Rosette.

— Qui m’aime me suive, dit Théodore en sautant une barrière de quatre pieds de haut. Eh bien ! monsieur le poëte, dit-il quand il fut de l’autre côté, — vous ne sautez pas ? votre monture est pourtant ailée, à ce qu’on dit.

— Ma foi, j’aime mieux faire le tour ; je n’ai qu’une tête à casser, après tout ; si j’en avais plusieurs, j’essayerais, répondit d’Albert en souriant.

— Personne ne m’aime donc, puisque personne ne me suit, dit Théodore en faisant descendre encore plus que de coutume les coins arqués de sa bouche. Le petit page leva sur lui ses grands yeux bleus d’un air de reproche,