Page:Gautier - Mademoiselle de Maupin (Charpentier 1880).djvu/183

Cette page a été validée par deux contributeurs.
177
MADEMOISELLE DE MAUPIN.

pièce, à vous enfermer dans un long tube de pierre sans issue et sans ouverture. Pourquoi voulez-vous qu’il dispute à de pauvres fourmis comme nous sommes leur misérable bonheur d’une minute, et l’imperceptible grain de mil qui leur revient dans cette large création ? — Il faudrait pour cela qu’il eût la férocité d’un tigre ou d’un juge ; et, si nous lui déplaisions tant, il n’aurait qu’à dire à une comète de se détourner un peu de sa course et à nous étrangler tous avec un crin de sa queue. — Comment diable voulez-vous que Dieu se divertisse à nous enfiler un à un dans une épingle d’or, comme faisait des mouches l’empereur Domitien ? — Dieu n’est pas une portière ni un marguillier, et, quoiqu’il soit vieux, il n’est pas encore tombé en enfance. — Toutes ces petites méchancetés sont au-dessous de lui, et il n’est pas assez niais pour faire de l’esprit avec nous et nous jouer des tours. — Courage, Rosette, courage ! Si vous êtes essoufflée, arrêtez-vous un peu et reprenez haleine, et puis continuez votre ascension : vous n’avez peut-être plus qu’une vingtaine de marches à gravir pour arriver à l’embrasure d’où vous verrez votre bonheur.

Rosette.

Jamais ! oh ! jamais ! et si je parviens au sommet de la tour, ce ne sera que pour m’en précipiter.

Théodore.

Chasse, ma pauvre affligée, ces idées sinistres qui voltigent autour de toi comme des chauves-souris, et jettent sur ton beau front l’ombre opaque de leurs ailes. Si tu veux que je t’aime, sois heureuse, et ne pleure pas. (Il l’attire doucement contre lui et l’embrasse sur les yeux.)

Rosette.

Quel malheur pour moi de vous avoir connu ! et pour-