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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

Théodore.

Combien cela durera-t-il ?

Rosette.

Quinze jours, trois semaines, mais à coup sûr moins que cela n’eût duré si vous n’étiez pas venu. — Je sais que je ne serai jamais votre maîtresse. — Il y a, dites-vous, pour cela une raison inconnue à laquelle je me rendrais s’il vous était permis de me la révéler. Ainsi donc toute espérance de ce côté me doit être interdite, et cependant je ne puis me résoudre à être la maîtresse d’un autre quand vous êtes là : il me semble que c’est une profanation, et que je n’ai plus le droit de vous aimer.

Théodore.

Gardez celui-ci pour l’amour de moi.

Rosette.

Si cela vous fait plaisir, je le ferai. — Ah ! si vous aviez pu être à moi, combien ma vie eût été différente de ce qu’elle a été ! — Le monde a une bien fausse idée de moi, et j’aurai passé sans que nul se soit douté de ce que j’étais, — excepté vous, Théodore, le seul qui m’ayez comprise, et qui m’ayez été cruel. — Je n’ai jamais désiré que vous pour amant, et je ne vous ai pas eu. — Si vous m’aviez aimée, ô Théodore ! j’aurais été vertueuse et chaste, j’aurais été digne de vous : au lieu de cela, je laisserai (si quelqu’un se souvient de moi) la réputation d’une femme galante, d’une espèce de courtisane qui n’avait de différent de celle du ruisseau que le rang et la fortune. — J’étais née avec les plus hautes inclinations ; mais rien ne déprave comme de ne pas être aimée. — Beaucoup me méprisent qui ne savent pas ce