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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

à votre huis vers la tombée du jour. — Le battant entrebâillé donna passage, devinez à qui ? à la maîtresse du perplexe d’Albert, à la princesse Rosette en personne, plus rose que son nom, et les seins aussi émus que les eut jamais femme qui soit entrée le soir dans la chambre d’un beau cavalier.

— Théodore ! dit Rosette.

Théodore leva le doigt et le posa sur sa lèvre de manière à figurer la statue du silence, et, lui montrant l’enfant qui dormait, il la fit passer dans la pièce voisine.

— Théodore, reprit Rosette qui semblait trouver des douceurs singulières à répéter ce nom, et chercher en même temps à rallier ses idées, — Théodore, continua-t-elle sans quitter la main que le jeune homme lui avait présentée pour la conduire à son fauteuil, — vous nous êtes donc enfin revenu ? Qu’avez-vous fait tout ce temps ? où êtes-vous allé ? — Savez-vous qu’il y a six mois que je ne vous ai vu ? Ah ! Théodore, cela n’est pas bien ; on doit aux gens qui nous aiment, même quand on ne les aime pas, quelques égards et quelque pitié.

Théodore.

— Ce que j’ai fait ? — Je ne sais. — J’ai été et je suis venu, j’ai dormi et j’ai veillé, j’ai chanté et j’ai pleuré, j’ai eu faim et soif, j’ai eu trop chaud et trop froid, je me suis ennuyé, j’ai de l’argent de moins et six mois de plus, j’ai vécu, voilà tout. — Et vous, qu’avez-vous fait ?

Rosette.

— Je vous ai aimé.

Théodore.

— Vous n’avez fait que cela ?