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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

Le jeune homme, toujours à genoux, contemplait ces deux petits pieds avec une attention amoureusement admirative ; il se pencha, prit le gauche et le baisa, et puis le droit et le baisa aussi ; et puis, de baisers en baisers, il remonta le long de la jambe jusqu’à l’endroit où l’étoffe commençait. — Le page souleva un peu sa longue paupière, et laissa tomber sur son maître un regard bienveillant et assoupi, où ne perçait aucune surprise. — Ma ceinture me gêne, dit-il en passant son doigt sous le ruban, et il se rendormit. — Le maître déboucla la ceinture, releva la tête du page avec un coussin, et touchant ses pieds qui étaient devenus un peu froids, de brûlants qu’ils étaient, il les enveloppa soigneusement dans son manteau, prit un fauteuil, et s’assit au plus près du sofa. Deux heures se passèrent ainsi, le jeune homme regardant dormir l’enfant et suivant sur son front les ombres de ses rêves. Le seul bruit qu’on entendît par la chambre était sa respiration régulière et le tic-tac de la pendule.

C’était un tableau assurément fort gracieux. — Il y avait dans l’opposition de ces deux genres de beauté un moyen d’effet dont un peintre habile eût tiré bon parti. — Le maître était beau comme une femme, — le page beau comme une jeune fille. — Cette tête ronde et rose, ainsi posée dans ses cheveux, avait l’air d’une pêche sous ses feuilles ; elle en avait la fraîcheur et le velouté, quoique la fatigue de la route lui eût enlevé quelque peu de son éclat habituel ; la bouche mi-ouverte laissait apercevoir de petites dents d’un blanc laiteux, et sous ses tempes pleines et luisantes s’entre-croisait un réseau de veines azurées ; les cils de ses yeux, pareils à ces fils d’or qui s’épanouissent dans les missels autour de la tête des vierges, lui venaient presque au milieu des joues ; ses cheveux longs et soyeux tenaient à la fois de l’or et