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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

pénétrant et si plein de sagacité que nous soyons, nous devons assurément en savoir là-dessus moins long que lui-même.

… Le petit page était tellement harassé, qu’il dormait sur les bras de son maître, et que sa petite tête toute déchevelée allait et venait comme s’il eût été mort. Il y avait assez loin du perron à la chambre que l’on avait désignée pour être celle du nouvel arrivant, et le domestique qui le précédait s’offrit à porter l’enfant à son tour ; mais le jeune cavalier, pour qui, du reste, ce fardeau semblait n’être qu’une plume, le remercia et ne voulut pas s’en dessaisir : il le déposa sur le canapé tout doucement et en prenant mille précautions pour ne pas le réveiller ; une mère n’eût pas mieux fait. Quand le domestique se fut retiré et que la porte fut fermée, il se mit à genoux devant lui, et essaya de lui tirer ses bottines ; mais ses petits pieds gonflés et endoloris rendaient cette opération assez difficile, et le joli dormeur poussait de temps en temps quelques soupirs vagues et inarticulés, comme une personne qui va se réveiller ; alors le jeune cavalier s’arrêtait, et attendait que le sommeil l’eût repris. Les bottines cédèrent enfin, c’était le plus important ; les bas firent peu de résistance. — Cette opération achevée, le maître prit les deux pieds de l’enfant, et les posa l’un à côté de l’autre sur le velours du sofa ; c’étaient bien les deux plus adorables pieds du monde, pas plus grands que cela, blancs comme de l’ivoire neuf et un peu rosés par la pression de la chaussure où ils étaient en prison depuis dix-sept heures, des pieds trop petits pour une femme, et qui semblaient n’avoir jamais marché ; ce qu’on voyait de la jambe était rond, potelé, poli, transparent et veiné, et de la plus exquise délicatesse ; — une jambe digne du pied.