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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

un esprit très-vif et très-étendu, jouit encore de ce privilége d’avoir à mettre au service de ses bons mots et de ses plaisanteries une voix d’un timbre argentin et mordant qu’il est difficile d’entendre sans être ému. — Il est vraiment parfait. — Il paraît qu’il partage mes goûts pour les belles choses, car ses habits sont très-riches et très-recherchés, son cheval très-fringant et de race ; et, pour que tout fût complet et assorti, il avait derrière lui, monté sur un petit cheval, un page de quatorze à quinze ans, blond, rose, joli comme un séraphin, qui dormait à moitié, et était si fatigué de la course qu’il venait de faire, que son maître a été obligé de l’enlever de sa selle et de l’emporter dans ses bras jusqu’à sa chambre. Rosette lui a fait beaucoup d’accueil, et je pense qu’elle a formé le dessein de s’en servir pour éveiller ma jalousie et faire sortir ainsi le peu de flamme qui dort sous les cendres de ma passion éteinte. — Tout redoutable cependant que soit un pareil rival, je suis peu disposé à en être jaloux, et je me sens tellement entraîné vers lui, que je me désisterais assez volontiers de mon amour pour avoir son amitié.


VI


En cet endroit, si le débonnaire lecteur veut bien nous le permettre, nous allons pour quelque temps abandonner à ses rêveries le digne personnage qui, jusqu’ici, a occupé la scène à lui tout seul et parlé pour son propre compte, et rentrer dans la forme ordinaire du roman, sans toutefois nous interdire de prendre par la suite la forme dramatique, s’il en est besoin, et en nous réservant le droit de puiser encore dans cette espèce de confession épistolaire que le susdit jeune homme adressait à son ami, persuadé que, si