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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

tre plus chatouillé que par le bizarre ou le difficile ? — La satiété suit le plaisir c’est une loi naturelle et qui se conçoit. — Qu’un homme qui a mangé à un festin de tous les plats et en grande quantité n’ait plus faim et cherche à réveiller son palais endormi par les mille flèches des épices ou des vins irritants, rien n’est plus facile à expliquer ; mais qu’un homme qui ne fait que s’asseoir à table, et qui à peine a goûté des premiers mets, soit pris déjà de ce dégoût superbe, ne puisse toucher sans vomir qu’aux plats d’une saveur extrême et n’aime que les viandes faisandées, les fromages jaspés de bleu, les truffes et les vins qui sentent la pierre à fusil, c’est un phénomène qui ne peut résulter que d’une organisation particulière ; c’est comme un enfant de six mois qui trouverait le lait de sa nourrice fade et qui ne voudrait téter que de l’eau-de-vie. — Je suis aussi las que si j’avais exécuté toutes les prodigiosités de Sardanapale, et cependant ma vie a été fort chaste et tranquille en apparence : c’est une erreur de croire que la possession soit la seule route qui mène à la satiété. On y arrive aussi par le désir, et l’abstinence use plus que l’excès. — Un désir tel que le mien est quelque chose d’autrement fatigant que la possession. Son regard parcourt et pénètre l’objet qu’il veut avoir et qui rayonne au-dessus de lui, plus promptement et plus profondément que s’il y touchait : qu’est-ce que l’usage lui apprendrait de plus ? quelle expérience peut équivaloir à cette contemplation constante et passionnée ?

J’ai traversé tant de choses, quoique j’aie fait le tour de bien peu, qu’il n’y a plus que les sommets les plus escarpés qui me tentent. — Je suis attaqué de cette maladie qui prend aux peuples et aux hommes puissants dans leur vieillesse : — l’impossible. — Tout ce que je