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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

ment ce qu’on appelle irréligieux, personne n’est de fait plus mauvais chrétien que moi. — Je ne comprends pas cette mortification de la matière qui fait l’essence du christianisme, je trouve que c’est une action sacrilége que de frapper sur l’œuvre de Dieu, et je ne puis croire que la chair soit mauvaise, puisqu’il l’a pétrie lui-même de ses doigts et à son image. — J’approuve peu les longs sarraux de couleur sombre d’où il ne sort qu’une tête et deux mains, et ces toiles où tout est noyé d’ombre, excepté quelque front qui rayonne. — Je veux que le soleil entre partout, qu’il y ait le plus de lumière et le moins d’ombre possible, que la couleur étincelle, que la ligne serpente, que la nudité s’étale fièrement, et que la matière ne se cache point d’être, puisque, aussi bien que l’esprit, elle est un hymne éternel à la louange de Dieu.

Je conçois parfaitement le fol enthousiasme des Grecs pour la beauté ; et, pour mon compte, je ne trouve rien d’absurde à cette loi qui obligeait les juges à n’entendre plaider les avocats que dans un lieu obscur, de peur que leur bonne mine, la grâce de leurs gestes et de leurs attitudes ne les prévinssent favorablement et ne fissent pencher la balance.

Je n’achèterais rien d’une marchande qui serait laide ; je donne plus volontiers aux mendiants dont les haillons et la maigreur sont pittoresques. — Il y a un petit Italien fiévreux, vert comme un citron, avec de grands yeux noirs et blancs qui lui tiennent la moitié de la figure ; — on dirait un Murillo ou un Espagnolet sans cadre qu’un brocanteur aurait exposé contre la borne : — celui-là a toujours deux sous de plus que les autres. — Je ne battrais jamais un beau cheval ou un beau chien, et je ne voudrais pas d’un ami ou d’un domestique qui ne serait point d’un extérieur agréable. — C’est un véritable sup-