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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

C’est par là que je suis le plus fortement englué, et, n’était cette raison, il y aurait longtemps que Rosette et moi nous serions brouillés sans retour. Et puis, en vérité, c’est une chose si mortellement ennuyeuse que de faire la cour à une femme, que je ne m’en sens pas le cœur. Recommencer à dire toutes les sottises charmantes que j’ai déjà dites tant de fois, refaire l’adorable, écrire des billets et y répondre ; reconduire des beautés, le soir, à deux lieues de chez soi ; attraper du froid aux pieds et des rhumes devant la fenêtre, en épiant une ombre chérie ; calculer sur un sofa combien de tissus superposés vous séparent de votre déesse ; porter des bouquets et courir les bals pour arriver où j’en suis, c’est bien la peine ! — Autant vaut rester dans son ornière. En sortir pour retomber dans une autre exactement pareille, après s’être beaucoup agité et donné bien du mal, — à quoi bon ? Si j’étais amoureux, la chose irait d’elle-même, et tout cela me paraîtrait ravissant ; mais je ne le suis point, quoique j’aie la plus forte envie de l’être ; car, après tout, il n’y a que l’amour au monde ; et, si le plaisir qui n’en est que l’ombre a tant d’amorces pour nous, que doit donc être la réalité ? Dans quel flot d’ineffables extases, dans quels lacs de pures délices doivent nager ceux qu’il a atteints au cœur d’une de ses flèches à pointe d’or, et qui brûlent des aimables ardeurs d’une flamme mutuelle !

J’éprouve à côté de Rosette ce calme plat et cette espèce de bien-être paresseux qui résulte de la satisfaction des sens, mais rien de plus ; et ce n’est pas assez. Souvent cet engourdissement voluptueux tourne en torpeur, et cette tranquillité en ennui ; je tombe alors en des distractions sans objet et en je ne sais quelles fades rêvasseries qui me fatiguent et m’excèdent ; — c’est un état dont il faut que je sorte à tout prix.