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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

espérant n’y laisser qu’une plume et croyant pouvoir m’envoler quand bon me semblerait : rien n’est plus difficile ; je me trouve couvert d’un filet imperceptible, plus malaisé à rompre que celui forgé par Vulcain, et le tissu des mailles est si fin et si serré, qu’il n’y a point jour à se pouvoir échapper. Le filet, du reste, est large, et l’on peut se remuer dedans avec une apparence de liberté ; il ne se fait guère sentir que lorsqu’on essaye à le rompre ; mais alors il résiste et se fait solide comme une muraille d’airain.

Que de temps j’ai perdu, ô mon idéal ! sans faire le moindre effort pour te réaliser ! Comme je me suis laissé aller lâchement à cette volupté d’une nuit ! et combien je mérite peu de te rencontrer !

Quelquefois je songe à former une autre liaison ; mais je n’ai personne en vue : — plus souvent je me propose, si je parviens à rompre, de ne me jamais rengager en de tels liens, et pourtant rien ne justifie cette résolution : car cette affaire a été en apparence fort heureuse, et je n’ai pas le moins du monde à me plaindre de Rosette. — Elle a toujours été bonne pour moi, et s’est conduite on ne peut mieux ; elle m’a été d’une fidélité exemplaire, et n’a pas même donné jour au soupçon : la jalousie la plus éveillée et la plus inquiète n’aurait rien trouvé à dire sur son compte, et aurait été obligée de s’endormir. — Un jaloux n’aurait pu l’être que des choses passées ; il est vrai qu’alors il aurait eu de quoi l’être largement. Mais c’est une délicatesse heureusement assez rare qu’une jalousie de cette sorte, et il a bien assez du présent sans aller fouiller en arrière sous les décombres des vieilles passions pour en extraire des fioles de poison et des calices de fiel. — Quelles femmes pourrait-on aimer, si l’on pensait à tout cela ? — On sait bien confusément qu’une femme