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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

Mes anciennes idées, qui s’étaient un peu assoupies, se réveillent plus folles que jamais. — Je suis, comme autrefois, tourmenté du désir d’avoir une maîtresse, et, comme autrefois, dans les bras mêmes de Rosette, je doute si j’en ai jamais eu. — Je revois la belle dame à sa fenêtre, dans son parc du temps de Louis XIII, et la chasseresse, sur son cheval blanc, traverse au galop l’avenue de la forêt. — Ma beauté idéale me sourit du haut de son hamac de nuages, je crois reconnaître sa voix dans le chant des oiseaux, dans le murmure des feuillages ; il me semble qu’on m’appelle de tous les côtés, et que les filles de l’air m’effleurent le visage avec la frange de leurs écharpes invisibles. Comme au temps de mes agitations, je me figure que, si je partais en poste sur-le-champ et que j’allasse quelque part, très-loin et très-vite, j’arriverais dans quelque endroit où il se fait des choses qui me regardent et où mes destinées se décident. — Je me sens impatiemment attendu dans un coin de la terre, je ne sais lequel. Une âme souffrante m’appelle ardemment et me rêve qui ne peut venir à moi ; c’est la raison de mes inquiétudes et ce qui m’empêche de pouvoir rester en place ; je suis attiré violemment hors de mon centre. — Ma nature n’est pas une de celles où les autres aboutissent, une de ces étoiles fixes autour desquelles gravitent les autres lueurs ; il faut que j’erre à travers les champs du ciel, comme un météore déréglé, jusqu’à ce que j’aie fait la rencontre de la planète dont je dois être le satellite, le Saturne à qui je dois mettre mon anneau. Oh ! quand donc se fera cet hymen ? Jusque-là je ne peux pas espérer de repos ni d’assiette, et je serai comme l’aiguille éperdue et vacillante d’une boussole qui cherche son pôle.

Je me suis laissé prendre l’aile à cette glu perfide.