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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

sentaient autrefois si naturellement ne se trouvent plus aujourd’hui que difficilement. — L’on commence à se souvenir que l’on a des affaires qui sont d’importance. — Cette situation pleine de tiraillements est des plus pénibles, mais elle ne l’est pas encore autant que celle où je me trouve. — Quand c’est une nouvelle amitié qui vous enlève à l’ancienne, il est plus facile de se dégager. — L’espérance vous sourit doucement du seuil de la maison qui renferme vos jeunes amours. — Une illusion plus blonde et plus rosée voltige avec ses blanches ailes sur le tombeau, à peine fermé, de sa sœur qui vient de mourir ; une autre fleur plus épanouie et plus embaumée, où tremble une larme céleste, a poussé subitement du milieu des calices flétris du vieux bouquet ; de belles perspectives azurées s’ouvrent devant vous ; des allées de charmilles discrètes et humides se prolongent jusqu’à l’horizon ; ce sont des jardins avec quelques pâles statues ou quelque banc adossé à un mur tapissé de lierre, des pelouses étoilées de marguerites, des balcons étroits où l’on va s’accouder et regarder la lune, des ombrages coupés de lueurs furtives, — des salons avec des jours étouffés sous d’amples rideaux ; toutes ces obscurités et cet isolement que recherche l’amour qui n’ose se produire. C’est comme une nouvelle jeunesse qui vous vient. L’on a en outre le changement de lieux, d’habitudes et de personnes ; l’on sent bien une espèce de remords ; mais le désir qui voltige et bourdonne autour de votre tête, comme une abeille du printemps, vous empêche d’en entendre la voix ; le vide de votre cœur est comblé, et vos souvenirs s’effacent sous les impressions. Mais ici ce n’est pas la même chose : je n’aime personne, et ce n’est que par lassitude et par ennui plutôt de moi que d’elle que je voudrais pouvoir rompre avec Rosette.