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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

Ici, mon cher ami, je pense qu’il ne serait pas hors de propos de mettre une ligne de points, car le reste de ce dialogue ne se pourrait guère traduire que par des onomatopées.

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Le rayon de soleil, depuis le commencement de cette scène, a eu le temps de faire le tour de la chambre. Une odeur de tilleul arrive du jardin, suave et pénétrante. Le temps est le plus beau qui se puisse voir ; le ciel est bleu comme la prunelle d’une Anglaise. Nous nous levons, et, après avoir déjeuné de grand appétit, nous allons faire une longue promenade champêtre. La transparence de l’air, la splendeur de la campagne et l’aspect de cette nature en joie m’ont jeté dans l’âme assez de sentimentalité et de tendresse pour faire convenir Rosette qu’au bout du compte j’avais une manière de cœur tout comme un autre.

N’as-tu jamais remarqué comme l’ombre des bois, le murmure des fontaines, le chant des oiseaux, les riantes perspectives, l’odeur du feuillage et des fleurs, tout ce bagage de l’églogue et de la description, dont nous sommes convenus de nous moquer, n’en conserve pas moins sur nous, si dépravés que nous soyons, une puissance occulte à laquelle il est impossible de résister ? Je te confierai, sous le sceau du plus grand secret, que je me suis surpris tout récemment encore dans l’attendrissement le plus provincial à l’endroit d’un rossignol qui chantait. — C’était dans le jardin de *** ; le ciel, quoiqu’il fît tout à fait nuit, avait une clarté presque égale à celle du plus beau jour ; il était si profond et si transparent que le regard pénétrait aisément jusqu’à Dieu. Il me semblait voir flotter les derniers plis de la robe des anges sur les blanches sinuosités du chemin de saint Jacques. La lune était levée, mais un grand