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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

elle, si j’en ai, ne ressemble pas à l’idée que je me suis faite de l’amour. — Après cela mon idée n’est peut-être pas juste. Je n’ose rien décider. Toujours est-il qu’elle me rend tout à fait insensible au mérite des autres femmes, et je n’ai désiré personne avec un peu de suite depuis que je la possède. — Si elle a à être jalouse, ce n’est que de fantômes, ce dont elle s’inquiète assez peu, et pourtant mon imagination est sa plus redoutable rivale ; c’est une chose dont, avec toute sa finesse, elle ne s’apercevra probablement jamais.

Si les femmes savaient cela ! — Que d’infidélités l’amant le moins volage fait à la maîtresse la plus adorée ! — Il est à présumer que les femmes nous le rendent et au delà ; mais elles font comme nous, et n’en disent rien. — Une maîtresse est un thème obligé qui disparaît ordinairement sous les fioritures et les broderies. — Bien souvent les baisers qu’on lui donne ne sont pas pour elle ; c’est l’idée d’une autre femme que l’on embrasse dans sa personne, et elle profite plus d’une fois (si cela peut s’appeler un profit) des désirs inspirés par une autre. Ah ! que de fois, pauvre Rosette, tu as servi de corps à mes rêves et donné une réalité à tes rivales ; que d’infidélités dont tu as été involontairement la complice ! Si tu avais pu penser, aux moments où mes bras te serraient avec tant de force, où ma bouche s’unissait le plus étroitement à la tienne, que ta beauté et ton amour n’y étaient pour rien, que ton idée était à mille lieues de moi ; si l’on t’avait dit que ces yeux, voilés d’amoureuses langueurs, ne s’abaissaient que pour ne pas te voir et ne pas dissiper l’illusion que tu ne servais qu’à compléter, et qu’au lieu d’être une maîtresse, tu n’étais qu’un instrument de volupté, un moyen de tromper un désir impossible à réaliser !

Ô célestes créatures, belles vierges frêles et diaphanes